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Aux Beaux-Arts un programme pour artistes réfugiés

Les artistes du programme peuvent également assister aux ateliers et cours des Beaux-Arts de Paris en tant qu'auditeur libre. | Avec l'aimable autorisation des Beaux-Arts de Paris / Markus Schilder

Temps de lecture: 5 min

«Arrivé en France, j'étais un peu perdu. Je voulais rester dans le milieu de l'art, mais tout semblait si différent ici comparé à la Syrie», se souvient Mario Jarwa, un artiste syrien diplômé des Beaux-Arts d'Alep, qui pratique notamment la sculpture figurative.

En 2017, à 27 ans, Mario est contraint de quitter son pays pour échapper à un service militaire interminable, qui l'aurait entraîné dans une guerre qu'il rejette. Loin de sa terre natale, son désir de poursuivre sa pratique artistique s'est renforcé, jusqu'à devenir vital. «Ça fait partie de moi, explique-t-il. Je voulais intégrer une école d'art ici, en France, pour continuer à exprimer ce que j'ai en moi.» Son souhait a finalement été exaucé, grâce notamment à un programme conduit par le département des études des Beaux-Arts de Paris: le programme Hérodote.

Pendant un an, il propose à des artistes réfugiés ou demandeurs d'asile de suivre des cours intensifs de français langue étrangère (FLE) au sein de la prestigieuse école.

Outre l'apprentissage de la langue, l'objectif de ce programme non diplômant est double: d'un côté, il permet à ces réfugiés de retrouver un environnement artistique qu'ils ont été contraints de quitter. De l'autre, il les prépare aux concours des écoles d'art, afin que ces talents puissent continuer à créer depuis l'Hexagone.

«Une passerelle pour remettre un pied à l'étrier»

Peintres, photographes, performeurs et dessinateurs, venus du Yémen, du Pakistan, d'Ukraine ou encore d'Irak... le programme Hérodote n'a que quatre ans, mais a déjà vu passer de nombreux artistes aux horizons et pratiques divers.

Si quelques participants arrivent avec une certaine notoriété, à l'instar de Oksana Chatchko, cofondatrice du mouvement Femen et membre de la première promotion d'Hérodote, d'autres sont obligés de se cacher. «La plupart ont fui les persécutions, le danger et les menaces de mort», explique Sophie Marino, fondatrice et responsable du programme.

À leur arrivée en France, plusieurs associations, notamment UniR et le réseau MEnS, mettent ces réfugiés en relation avec Hérodote. À la suite d'auditions, une douzaine d'étudiants sont retenus pour participer au programme et suivent des cours de français en fonction de leur niveau –débutant ou intermédiaire– à raison de deux séances d'une heure et demie par semaine.

L'objectif pour ces artistes étant de reprendre les études et d'intégrer une école d'art. «L'apprentissage de la langue française est fondamental, précise Sophie Marino. Ce programme est en fait un dispositif d'aide à la reprise des études, une passerelle qui leur permet de remettre un pied à l'étrier, de ne pas abandonner leur pratique.» Mieux encore, les participants ont la chance de pouvoir exposer deux fois dans l'année leurs œuvres au cœur de la magnifique École des Beaux-Arts de Paris.

En plus des deux enseignants qui donnent les cours, Véronique Teyssandier et Jacques Jeudy, des étudiants volontaires aident également ces réfugiés à préparer leur portfolio, leur dossier d'inscription et leur entretien en vue des concours. Sur les trois précédentes promotions, cinq personnes, dont la photographe yéménite Amira Al-Sharif, ont été prises dans une école d'art nationale –ce qui correspond à la moyenne des candidats acceptés dans le circuit classique.

L'art comme thérapie

Mario Jarwa, le sculpteur syrien, fait notamment partie de ces heureux élus, et en est désormais à sa troisième année aux Beaux-Arts de Paris. Pourtant, tout n'a pas été facile pour le jeune homme. «Au début c'était assez compliqué, la culture et le milieu artistique sont très différents. J'ai eu un vrai choc culturel», explique-t-il.

Au sein du programme, il a été suivi par deux étudiantes, Lou et Emma, qui l'ont accompagné tout au long de l'année. «C'était important parce que les étudiants sont proches de notre âge, on peut leur poser des questions plus intimes qu'aux professeurs par exemple.»

Rapidement, il s'est aussi rapproché des autres personnes qui participent au programme Hérodote. «On a un parcours qui se ressemble d'une manière ou d'une autre. Ça nous a permis d'avoir une sorte de petite communauté, avec qui l'on partage une même histoire, dans une société que l'on découvre», ajoute-t-il.

«Avec les artistes, la thérapie passe par la créativité.»

Ali Arkady, photographe irakien et Prix Bayeux Calvados des correspondants de guerre 2017

Même à des milliers de kilomètres de leur pays d'origine, cette histoire commune, souvent difficile, ne cesse de les poursuivre. Beaucoup subissent des traumatismes liés à leur passé et l'art se présente comme un puissant remède.

«Avec les artistes, la thérapie passe par la créativité», explique Ali Arkady, un photojournaliste irakien qui a participé au programme lors de l'année 2017/2018. «Hérodote est une première étape dans ce long processus de thérapie, une première étape pour continuer son travail.»

Ali Arkady sait de quoi il parle. Son travail a été marqué par la violence et l'horreur. Fin 2016, il a passé plusieurs semaines auprès de soldats irakiens engagés dans la bataille de Mossoul, qui l'ont laissé capturer des scènes d'une brutalité inouïe. Torture, viols, exécutions: Ali Arkady a assisté aux pires atrocités, au point de devoir être exfiltré par son agence VII Photo. Son travail a notamment été couronné du Prix Bayeux Calvados des correspondants de guerre.

«Quand je suis arrivé au programme Hérodote, c'était dur vu ce que je venais de vivre. Mais je voulais comprendre la culture de l'art en France et essayer d'être pris dans une école», explique le photographe, qui a réussi à intégrer, à l'instar de sa femme, les Beaux-Arts de Paris il y a trois ans. «Hérodote m'a permis de faire partie de cette prestigieuse école, ça a été un bon moyen de survivre, de combattre à travers l'art. Ils vous font croire en quelque chose, et ça, ça fait du bien à un moment où l'on est perdu.»

Des pratiques qui évoluent

En France, ces artistes découvrent une liberté nouvelle: celle de produire des œuvres sans censure ni épée de Damoclès au-dessus de la tête. «En Syrie, on était censuré sur tous les sujets qui traitaient de la politique, de la religion et du sexe. C'était très difficile d'en parler», explique Mario Jarwa, dont les œuvres engagées montrent comment les êtres humains s'adaptent aux difficultés et à la misère qu'impose la guerre.

Au sein des Beaux-Arts de Paris, les artistes réfugiés qui suivent le programme jouissent également d'autres libertés: les ateliers (comme la fonte, sérigraphie, bois, céramique, etc.) et les cours de l'école leur sont ouverts. Bien qu'ils ne puissent pas y participer, ces derniers peuvent y assister en tant qu'auditeurs libre. En étant entourée par ce tissu humain et artistique fort, leur pratique évolue inévitablement.

«Ça m'a ouvert des portes intérieures qui étaient verrouillées en Syrie, ajoute le sculpteur syrien. Le principal changement que j'ai opéré, c'est que je suis passé du figuratif à des installations.» Aujourd'hui, il montre à travers elles comment son peuple arrive, au beau milieu du chaos, à pallier l'absence d'électricité ou à faire preuve d'inventivité pour prendre une simple douche.

De son côté, Ali Arkady, photographe irakien, a également pu profiter de sa présence aux Beaux-Arts –qu'il fréquente désormais en tant qu'étudiant– pour s'exercer aux techniques disponibles. Au point d'en créer une nouvelle.

Il a ainsi inventé la monolithographie, une technique à cheval entre la photographie, la vidéo et la lithographie. «J'ai développé cette nouvelle approche aux Beaux-Arts, en mélangeant ce que je savais avant de venir avec ce que j'ai découvert ici», précise-t-il.

Contacts humains, apprentissage de la langue, préparation aux concours, ouverture à de nouvelles pratiques... le programme Hérodote a de multiples facettes. L'une d'elles semble tout de même se démarquer par son caractère essentiel. Avant tout, Hérodote permet à ces artistes de ne pas perdre leur énergie créatrice. La même qui leur a tant porté préjudice sur leur terre natale. Celle qui, aujourd'hui comme hier, les pousse à s'exprimer à travers l'art.

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